Archives par mot-clé : Anorexie

Stéphane Proïa : déni du féminin et servitude volontaire en gymnastique féminine

L’exploitation commerciale du sport de haut-niveau alliée à sa fonction idéologique, semblent aujourd’hui induire une sorte de cécité angélique collective. Pourtant les dérives issues du culte de la performance organisé et de la logique de productivité rationnelle, touchent désormais une population de plus en plus jeune. Dans certaines disciplines, les troubles anorexiques chez les adolescentes compétitrices représentent la norme. Cet article entend ainsi contribuer à l’identification des facteurs de vulnérabilité à la fois individuels (facteurs dispositionnels) et contextuels (facteurs situationnels) qui président à l’inscription des conduites mortifères chez l’adolescente gymnaste. Du fait du primat de l’idéologie virile dans le milieu sportif, le refus du féminin constitue un paradigme crucial dans la dynamique des remaniements pulsionnels qui touchent l’adolescente et son entourage.

Muriel Darmon : variations corporelles. l’anorexie au prisme des sociologies du corps

En adoptant le regard particulier qu’offre la sociologie du corps, cet article replace les attitudes et comportements anorexiques dans l’espace social des représentations et usages du corps. L’étude des « variations corporelles » (selon les époques de l’histoire, les classes sociales, les classes d’âge et le sexe) permet de voir se profiler, derrière le corps anorexique, un modèle corporel situé historiquement et socialement, qui est tout à la fois contemporain, adolescent, féminin, et d’origine sociale moyenne ou supérieure. En outre, le processus de transformation corporelle qui se joue au cours de la carrière anorexique entre en résonance avec des représentations contemporaines de la malléabilité corporelle. Il en manifeste notamment deux figures pourtant opposées, celle d’un corps « mou », perçu comme labile et modifiable à l’envi, et celle d’un corps « dur », qui tend à « persévérer dans son être » et à résister à toute injonction au changement.

Bernard Brusset : la figure de l’anorexique dans l’adolescence

L’anorexique donne figuration et illustration à la culture de l’anti-consommation et de l’individualisme, mais la fascination qu’elle provoque va bien au-delà. Elle est exploitée par les émissions de télévision pour sa force expressive d’énigme, « la cage dorée » (Bruch), le mystère et le pouvoir de ce qui apparaît comme un choix de rupture avec la famille, les autres adolescentes, avec l’adolescence et avec soi-même. Un choix héroïque et parfois mortel perçu comme accusateur.

Les multiples interprétations de l’anorexie mentale par tel ou tel aspect de l’évolution des mœurs et des modèles véhiculés par la culture dominante tendent à nier sa spécificité psychopathologique. Les facteurs culturels, familiaux et traumatiques événementiels sont d’autant plus en cause qu’il s’agit de formes mineures ou d’anorexie hystérique.

 

La mise en spectacle du choix supposé délibéré de se détourner des satisfactions les plus légitimes et les plus élémentaires pour courir le risque de la mort dans la démesure d’un comportement de restriction pas seulement alimentaire, détourne l’attention de ce que montre la clinique psychanalytique : la force de la demande affective anachronique (qui peut trouver une issue dangereuse dans les boulimies) et de l’ambivalence dans les relations aux parents et surtout à la mère en fonction de l’histoire infantile. Ainsi s’explique dans l’entourage, à la mesure de l’angoisse qu’elle provoque, l’insistance des réactions de déni du sens : il n’y a rien à comprendre, c’est une maladie, une anomalie dans le cerveau. Or, si les anorexiques s’opposent à être ré-alimentées de force, elles demandent à être écoutées et derrière la façade affichée d’un fétichisme du corps mince, c’est le désarroi qui s’exprime et demande à être entendu.

Amine A. Azar: Le bon usage du matrimoine en psychopathologie

La notion de « matrimoine » paraît essentielle dans l’abord de l’identité féminine. Ce néologisme désigne la transmission entre femmes d’un certain nombre d’organisateurs de rôles (manières de dire et manières de faire) qui servent à la modulation du préconscient. On y signale une fracture intervenue au décours du XVIIe siècle, en deçà de laquelle le matrimoine avait présenté une quasi stabilité millénaire, et au-delà de laquelle une ère de turbulences relatives s’est ouverte. Après quoi on a illustré par deux exemples appartenant au domaine de la psychopathologie (le syndrome du fil à la patte et l’anorexie mentale) les effets délétères de l’instabilité et de la conflictualité du matrimoine au cours du développement de l’adolescente aujourd’hui.

Philippe Givre: Le visage ravagé par les yeux

A quelle esthétique nous renvoie le corps anorexique? Si la quête du beau ou la grandiosité du sublime ne semblent guère correspondre à l’esthétique anorexique, des accointances plus sérieuses peuvent être mises en évidence avec l’esthétique de la laideur. La séduction du laid renverrait, selon Murielle Gagnebin (cf. La fascination de la laideur) à la fois à une nostalgie de l’enfance et à la maladie de la temporalité sur l’homme. Des affinités étroites se trament donc entre la mort, le temps et la laideur. Le laid ne peut être simplement considéré comme l’envers du beau puisqu’en donnant à voir ce qui est généralement dissimulé ou sublimé, il nous fait côtoyer les rivages d’une sexualité régressive et perverse. L’esthétique de la laideur répondrait de la sorte au besoin impérieux de se familiariser avec les figures spectrales qui peuplent l’univers du narcissisme de mort. En ce sens, « l’en-deçà psychanalytique du laid » n’est pas sans apporter un éclairage nouveau sur le contenu et la tonalité des fantasmes anorexiques. Sur un mode similaire à l’esthétique de la laideur, l’esthétique onirique des anorexiques révèle les ombres étouffantes et asphyxiantes du narcissisme de mort derrière lesquelles s’agitent et grouillent des fantasmes où l’oralité cannibalique et les angoisses de dévoration se mêlent aux fantasmes de pénétration et de viol. Aussi, ces ogresses d’imagos et d’objets d’amour à jamais perdus ne semblent avoir à leur disposition que leur corps et la fascination à l’Autre qui en émane pour mieux en dénoncer l’emprise qu’exercent sur elles des spectres vampiriques incorporés en des temps immémoriaux.

Catherine Chabert : De l’acte à la scène. Le psychodrame avec les adolescents

À partir d’une critique du terme « conduites addictives », l’auteur propose une réflexion métapsychologique centrée sur la compulsion de répétition et sur ses effets à l’adolescence, plus précisément dans les pathologies anorexiques. L’étude clinique du processus thérapeutique déployé au psychodrame dans le traitement d’une adolescente gravement anorexique, s’articule autour de constructions théoriques à propos de la dialectique des perceptions internes et externes. La question essentielle se pose quant au surinvestissement des perceptions externes – constitutif du narcissisme – au détriment  des perceptions internes. Celles-ci sont considérées comme intrinsèquement liées aux affects qui constituent la « matière  première » du transfert.

La seconde partie de l’article est consacrée au psychodrame analytique, à son intérêt et à ses fonctions, en de telles situations : fragmentation du transfert, jeux de doubles, et mise en mots des affects offrent autant de moyens pour traiter la violence  pulsionnelle dans la mesure où la méthode assure la liaison entre les images et les mots, lorsque les affects sont barrés, emprisonnés voire étouffés. Ainsi le psychodrame trace le chemin de l’expérience effective de l’effondrement, dans son double versant, témoin de la détresse originaire et de la solitude œdipienne.

Adolescence, 2008, T. 26, n°4, pp. 941-957.

Anna Maria Nicolò : Une ou plusieurs anorexies

L’auteur observe que, sous la dénomination unique d’anorexie, il existe en réalité des structures de la personnalité et des tableaux psychopathologiques différents. Elle décrit également l’évolution de la composante anorexique chez une femme adulte, traitée par l’analyse après avoir apparemment surmonté le symptôme et la dynamique anorexiques.

Adolescence, 2008, T. 26, n°4, pp. 925-940.

Dominique Fessaguet : la mystique du rien

Louise a dix-sept ans, deux fois par semaine, le regard fixé sur un au-delà de ma personne, elle m’égrène les chemins de sa haine : l’ “ abjection ” que sont nourriture, tentation, corps/animalité, féminin. Louise ignore la mort. Elle est entrée dans une quête inlassable du rien, un rien dans la bouche, dans le corps et enfin : le rien. Elle avance fascinée par sa propre emprise dans la découverte de cet “ autre ” espace, l’absolu qu’est le rien et ses moyens d’y accéder. Elle a découvert au décours de la satisfaction hallucinatoire les voies de son rien. Elle mettait en scène la délicatesse et le raffinement de mets en si petites quantités, que là aussi, elle mangeait “ du rien ”. Et c’est ainsi que lui est apparu le rien, et elle a engagé sa montée vers Lui par petites touches, soignant son avancée, dans l’oxymore d’une élation froide.

Le rien, sa “ nuit des sens ” et en même temps son chemin de lumière, n’est pas sans évoquer la quête mystique d’un saint Jean de la Croix et je mettrai en perspective cette “ nuit obscure ” avec le trajet de Louise.

Il s’agira d’examiner les chemins, les impasses, le travail de liaison/déliaison, de désintrication de la pulsion que le choc du “ pubertaire ” a entrainé, l’amenant à une régression profonde. Dans un retournement/détournement de processus psychiques habituellement alliés de la vie, elle s’est abîmée dans le balancement entre satisfaction hallucinatoire et l’anéantissement vers le rien.

Le chemin de Louise nous permet de montrer les profondes ressemblances entre trajet mystique et trajet/travail du “ pubertaire ”.

Adolescence, 2008, T. 26, n°1, pp. 89-99.

Marie Windels : les blogueuses pro-ana. des idéologues de la maigreur sur internet

Les blogueuses pro-ana, communauté de jeunes femmes, échangent leurs méthodes d’amaigrissement et partagent leur combat contre la nourriture via Internet. Leurs blogs ont déclenché l’émoi de l’opinion publique, provoquant la promulgation d’une loi en avril 2008. Nous verrons que ces blogs, bien qu’incitant à la maigreur, ne sont pas tant créés par des jeunes femmes cachexiques que par des personnes installées dans l’anorexie/boulimie. En produisant un blog pro-ana, elles demandent d’une part, à être soutenues pour repousser leurs accès boulimiques et d’autre part, à être reconnues pour leur appartenance à une communauté.

Adolescence, 2010, T. 28, n°2, pp. 433-442.

François Richard : ce que la rencontre avec l’adolescent apprend au psychanalyste

La psychanalyse de l’adolescent existe-t-elle ? Deux points de vue sont réfutés, celui qui considère l’adolescence comme le moment du refoulement après-coup et celui qui s’effraie d’un risque de flambée pulsionnelle en situation clinique duelle. L’histoire des élaborations théoriques sur l’adolescence introduit à une conception de la rencontre entre le psychanalyste et l’adolescent susceptible d’éclairer la pratique psychanalytique avec l’adulte.

La méthode freudienne d’interprétation du conflit pulsionnel et du transfert est applicable avec l’adolescent, ce que démontre le traitement d’une jeune adolescente présentant des troubles anorectiques et addictifs. Les fonctionnements limites y correspondent à des défenses projectives contraphobiques, le refoulement étant recouvert par le clivage.

Des hypothèses sont avancées sur les pathologies actuelles de l’adolescent et du jeune adulte (recours paradoxal à des formes d’excitation à visée désexualisante, externalisation de l’intériorité psychique) dans un contexte de « malaise dans la culture ».

Adolescence, 2011, T. 29 n°2, pp. 245-270.