Que vit un corps derrière l’écran ? L’écran sert autant à dévoiler qu’à masquer. Nous interrogerons au travers de deux vignettes cliniques de séance en visioconférence la question de la présence et de la circulation des sens de part et d’autre de l’écran. Voir le monde assis derrière son écran, est-ce véritablement la même chose que de prendre part à ce monde ? Voir ou habiter faudrait-il choisir ?
L’Homme a rêvé la maîtrise de son environnement psychique, écologique et virtuel, au travers d’une course effrénée contre toute forme de limites du temps, de l’espace, de ses ressources et de son corps. La situation actuelle met en crise ce récit de l’Homme comme centre des cosmogonies, alors qu’il est forcé de constater son statut périphérique face à ce qu’il avait la présomption de dominer. La génération parentale ferait-elle ainsi payer en tribut à l’adolescence la sauvegarde de son humiliation ? Alors, comment « habiter » son corps et sa psyché, si l’avenir promis est l’écran d’une fin ?
Cette exclamation insérée dans ce troisième volume sur le virtuel concerne l’angoisse ou la tristesse que provoque, pour bien d’entre nous, la disparition du livre papier. Pour ceux qui comme moi aiment écrire ; pour ceux qui aiment lire sans investir un écran trop associé dans ma génération à la télévision aux programmes médiocres et publicitaires ; pour ceux qui se repèrent volontiers chaque soir ou matin à côté de certains livres élus, interrogés avec sécurité et curiosité ; pour ceux qui éditent à une époque où le papier, séquelle de l’arbre des forêts, est en Europe si cher ; pour ceux qui enseignent non seulement en université mais aussi dans les collèges et face à l’habile compétence de leurs cadets dans le domaine informatique se soumettent, irrités, à cette bascule pédagogique.
Adolescence, 2012, T. 30, n°1, pp. 233-224.
Revue semestrielle de psychanalyse, psychopathologie et sciences humaines, indexée AERES au listing PsycINFO publiée avec le concours du Centre National du Livre et de l’Université de Paris Diderot Paris 7