Archives de catégorie : Mettre en scène – 2005 T. 23 n°3

Alberto Eiguer : pourquoi les adolescents n’aiment pas les fêtes de famille ?

 

Afin de creuser les raisons de ce refus, l’auteur examine successivement les limites du concept de défense maniaque, les caractéristiques de toute fête de famille – le rite qui évoque les origines de la famille et l’appartenance de ses membres, mais qui se dresse également contre tout excès et débordement –, la nature singulière de la fête, chez les adolescents – hyperactivité et mise en tension des sensations archaïques –, pour préciser ce qui les heurte tout particulièrement. Les adolescents n’aiment pas les fêtes de famille car elles véhiculent un ordre généalogique dans lequel ils imaginent ne pas avoir de place. Ce serait la raison qui explique qu’ils ne supportent pas leur tonalité apologique ou les certitudes que prétendent dégager les allégories mythiques qui s’y expriment. Ce rejet est en accord avec leur prétention de se construire une néo-filiation, ce qui les conduit vers d’autres groupes et d’autres fêtes (rave parties), mais cela n’est que la face visible d’une autre quête, celle d’une place qui serait la leur dans la généalogie.

Joëlle Nouhet : mangamania et cosplay

 

Des fans de mangas se réunissent par milliers pour faire la fête. Le cosplay est un jeu-spectacle où les participants sont costumés comme leur héros de mangas préférés. Les fonctions ludiques, métaphoriques et métonymiques de ces costumes sont examinées. Les propos d’une adolescente cosplayeuse illustrent la fonction du costume comme objet de créativité, contenant narcissique, enveloppe protectrice, support d’identifications et de différenciation. La réversibilité possible grâce au costume, avec ses aspects « baby » et « sexy » permettrait de lutter contre des angoisses liées à une sexualité adulte irréversible et d’explorer des sensations érogènes de type infantile.

Olivier Douville : fêtes et contextes anthropologiques

L’auteur définit ce qu’est une fête dans des contextes anthropologiques différents. Prenant appui sur les travaux de R. Caillois et de L. Levi Makarius, il montre les limites du parallèle entre fête et la transgression, et contraste les fêtes modernes (rave party) et commémoration par rapport à la dimension de la mémoire.

Noëlla Darcq, Miguel Gomez-Larenas : le contre-transfert devant un corps exposé

 

Les transformations corporelles associées aux processus psychiques pubertaires conduisent les adolescents au sein de leur groupe à se saisir des phénomènes de mode vestimentaire et ornementale pour se différencier et tenter de s’individualiser. Au sein de ces modes, certains mouvements plus marginaux comme le style gothique attirent des jeunes gens. Le corps de ces adolescents devient alors la scène d’un théâtre, où la pièce qui se joue entre en résonance avec leur propre histoire, parfois traumatique. Par ailleurs, d’autres jeunes mettent leur corps en spectacle, mais il semble que la narration soit bloquée, comme une dissociation entre ce corps et cet esprit. À la lumière de vignettes cliniques, les auteurs s’attacheront à développer les relations entre l’utilisation du corps et la dynamique pubertaire du processus d’individuation – séparation dans des problématiques de personnalité limite : lorsque la pensée est court-circuitée, l’expression corporelle est valorisée. Toutefois, cette expression ne suscite pas toujours les mêmes réactions chez le clinicien : il pourra – ou non – penser, associer, induisant une relation transférentielle différente. Enfin, l’ensemble de cette réflexion s’appuiera sur des œuvres artistiques ayant abordé ce sujet comme La Métamorphose de Kafka, Peau d’âne de Perrault, ou La Maja Desnuda de Goya.

Serge Tisseron : nouvelles familles et nouvelles images : les habits neufs du narcissisme

 

Les transformations qui affectent le rapport des jeunes à leur propre image résultent de leur adaptation à deux situations radicalement nouvelles auxquelles ils sont confrontés dès la prime enfance : l’omniprésence des images – notamment celles que leurs parents font d’eux –, et les nouvelles organisations familiales dans lesquelles le désir que l’enfant surprenne est maintenu de plus en plus longtemps. « Être célèbre » est alors perçu comme le moyen privilégié de résoudre en même temps plusieurs désirs et angoisses contradictoires.

David Le Breton : la scène adolescente : les signes d’identité

La culture des pairs supplante aujourd’hui celle des pères, la transmission s’efface devant l’imitation. Il faut dès lors être à la hauteur du regard des autres, ceux de sa classe d’âge, même s’il faut pour cela se battre avec ses parents. L’une des terreurs des cours de récréation des collèges ou des lycées est de passer pour un « bouffon » en n’ayant pas l’assentiment du groupe, par une reculade devant un défi ou le fait de ne pas arborer la bonne « marque » de vêtements ou de chaussures. L’estime de soi ne vient plus de l’adhésion à des valeurs unanimes structurant le lien social, elle ne s’alimente plus dans le miroir des aînés ou des ancêtres mais dans celui des pairs. La nécessité de représentation se rencontre chez les garçons et les filles mais sous des formes différentes.

Bernard Brusset : la figure de l’anorexique dans l’adolescence

L’anorexique donne figuration et illustration à la culture de l’anti-consommation et de l’individualisme, mais la fascination qu’elle provoque va bien au-delà. Elle est exploitée par les émissions de télévision pour sa force expressive d’énigme, « la cage dorée » (Bruch), le mystère et le pouvoir de ce qui apparaît comme un choix de rupture avec la famille, les autres adolescentes, avec l’adolescence et avec soi-même. Un choix héroïque et parfois mortel perçu comme accusateur.

Les multiples interprétations de l’anorexie mentale par tel ou tel aspect de l’évolution des mœurs et des modèles véhiculés par la culture dominante tendent à nier sa spécificité psychopathologique. Les facteurs culturels, familiaux et traumatiques événementiels sont d’autant plus en cause qu’il s’agit de formes mineures ou d’anorexie hystérique.

 

La mise en spectacle du choix supposé délibéré de se détourner des satisfactions les plus légitimes et les plus élémentaires pour courir le risque de la mort dans la démesure d’un comportement de restriction pas seulement alimentaire, détourne l’attention de ce que montre la clinique psychanalytique : la force de la demande affective anachronique (qui peut trouver une issue dangereuse dans les boulimies) et de l’ambivalence dans les relations aux parents et surtout à la mère en fonction de l’histoire infantile. Ainsi s’explique dans l’entourage, à la mesure de l’angoisse qu’elle provoque, l’insistance des réactions de déni du sens : il n’y a rien à comprendre, c’est une maladie, une anomalie dans le cerveau. Or, si les anorexiques s’opposent à être ré-alimentées de force, elles demandent à être écoutées et derrière la façade affichée d’un fétichisme du corps mince, c’est le désarroi qui s’exprime et demande à être entendu.

Jean-Yves Chagnon : féminité entre latence et adolescence

 

Le remaniement des identifications chez la jeune fille dans le passage de la fin de l’enfance à l’adolescence est illustré à partir des données d’une recherche sur les préadolescents et leur devenir, recherche effectuée à partir d’entretiens et de la méthodologie projective. Alors que les jeunes filles prépubères et pubères ont en moyenne le même âge, des différences radicales s’observent en ce qui concerne la mutation d’une féminité d’enveloppe vers une féminité orificielle selon qu’elles sont réglées ou non, illustrant ainsi la validité des hypothèses sur le pubertaire proposées par Ph. Gutton. Parallèlement des mouvements psychiques de séparation vis-a-vis des images parentales se dessinent, tremplin pour la subjectivation.