Archives de catégorie : Esthétiques – 1997 T. 15 n°1

Noelle Franck: Image, rien qu’ une image: Fonction d’ une esthétique à deux dimensions dans l’ anorexie mentale de la jeune fille

Les jeunes filles atteintes d’anorexie mentale ont pour particularité de mettre en équivalence identité psychique et identité corporelle. Nous nous interrogeons, en référence aux travaux de D. Meltzer sur le « conflit esthétique », et à ceux de Sami Ali, sur ce que l’esthétique corporelle en particulier dans ses aspects de bidimensionnalité, peut éclairer des conflits intrapsychiques sous-jacents.

Jean-Marc Talpin: Narcisse et Pygmalion ou le décollement esthétique

Narcisse meurt de la contemplation de sa propre image ignorée comme telle, Pygmalion crée une statue afin d’éviter la rencontre adolescente avec son propre sexe et avec le sexe de l’autre mais il s’éprend de son oeuvre qu’il parvient à faire transformer en femme.

L’écart entre ces deux personnages met en jeu le décollement esthétique, les capacités de symbolisation à l’adolescence dans le registre des œuvres de culture et d’art; qu’elles soient créées ou reçues, elles offrent à l’adolescent, par leur matérialité et par leur structure propre, un cadre pour la mise en travail de ses processus psychiques. Cet écart interroge aussi la place des pulsions partielles à l’adolescence en référence à la sublimation et à la génitalité ainsi qu’à la bisexualité psychique.

Gérard Bonnet: Le bel adolescent

Le mythe de Narcisse est un mythe d’origine qui retrace l’origine des désirs visuels et de leurs avatars relatant comment chaque adolescent accède à la découverte de la beauté qui l’habite et à sa prise en compte. La légende de Marina rapportée et commentée par C. Louis-Combet dans son roman Marinus et Marina en est une autre illustration d’un point de vue féminin, en soulignant mieux encore le rôle nécessaire joué par les autres dans ce cheminement et ses deux moments essentiels: celui de l’intériorisation, au moment de la mort de la mère, en référence au père, et celui de l’appropriation proprement dite au moment de la mort du père, en relation avec une autre femme. Il en ressort que l’assomption de la beauté passe par celle du sexe propre et qu’elle suppose un cheminement à rebours vers une expérience esthétique première où la mère tient une place centrale.
Ce cheminement passe toujours par un croisement où surgit une épreuve plus délicate encore, celle de la rencontre avec l’autre sexe: pour supporter cette rencontre et en faire une épreuve féconde, il faut en passer d’une façon ou d’une autre par l’expérience du sublime. C’est pourquoi l’adolescent est tellement à la recherche d’expériences de ce type. C’est pourquoi aussi les dysmorphophobies sont chez lui si fréquentes, de même que certains traits hermaphrodites ou les divers comportements de travestissement. Ils témoignent des difficultés inhérentes à ce parcours ainsi que des détours qu’il entraîne. Surtout lorsque se produisent certains événements particulièrement perturbants: séparations brutales, deuils précoces, révélations intempestives sur les origines, etc. C’est pourtant en s’appuyant sur ces conditions spécifiques à chacun qu’on lui permet le mieux de se situer.

Roland Gori : La vérité à l’ oeuvre

Depuis Freud, la psychanalyse, tout en reconnaissant sa dette envers les poètes et les savants, joue en permanence les prérogatives des uns contre les privilèges des autres, et réciproquement, pour inscrire sa spécificité praxéologique dans les interstices des lieux traditionnels de la connaissance. La psychanalyse contribue ainsi à une interrogation tout à fait actuelle sur l’idéal de vérité et l’idéologie de la méthode dans les cultures modernes et post-modernes.

Renée-Laetitia Richaud: Oeuvre d’ art, médium malléable et subjectivation. Approche maieutique

Espace ludique, onirique, créatif, l’Art constitue un médium malléable dont l’adolescence peut s’emparer pour traiter la crise identitaire et pulsionnelle qu’elle doit affronter. Sans urgence. « De biais. » Dans cette reconnaissance-méconnaissance propre au dynamisme de rencontre et de création de l’objet esthétique.

L’œuvre d’art est le paradigme d’une cure singulière, cure d’écriture, dont le thérapeute-maïeute, lui aussi médium malléable dans sa fonction d’étayage, se fait substitut transitionnel et transitoire de l’objet maternel primaire, dans sa fonction de pare-excitations.
L’effet en est un éprouvé de l’efficacité de ce jeu de liaisons-déliaisons-reliaisons préconscientes qui donnent au psychisme en crise la capacité de se faire progressivement autocontenant de ses représentations. Subjectivation de l’Unheimlich.

Serge Szabo: Idoles ou icones

L’idole et l’icône sont deux concepts qui ont traversé l’histoire de la rationalité occidentale. Ils définissent deux façons de concevoir une image. Sur le premier repose le discrédit platonicien du simulacre, image trompeuse car détachée de son support. Le second, repris par la théologie chrétienne, confère une légitimité à l’image de culte car celle-ci renvoie à son prototype.
Les deux concepts sont ici appliqués à la question de l’identification à l’adolescence. Dans les premières rencontres avec ses objets, la psyché est rivée à ses idéaux, cherchant une ressemblance idolâtre, copiant les modèles.
La relation d’un cas clinique illustre l’hypothèse que les identifications obéissent à un autre processus: la métabolisation des images s’effectue lorsque la croyance transférée sur l’analyste permet à l’adolescent de se séparer des anciennes idoles en reconnaissant qu’il construit une relation, à l’intérieur de lui-même, à leurs images: l’icône psychique dans l’identification sera ainsi partie prenante de l’ipséité.

Jean Guillaumin: Expérience esthétique et identité à l’ adolescence

L’auteur étudie les manifestations et le rôle dans l’adolescence de l’expérience esthétique, affects et représentations, comme substitut et complément, en cas de défaillance, des « doubles » à valeur de « conteneurs » qui étayent et garantissent l’élaboration pubertaire et post-pubertaire de l’identité. Il considère en ce sens que l’expérience esthétique constitue un réceptacle de recours privilégié pour les angoisses identitaires les moins traitables, donnant, aux limites-mêmes du Moi, entre dehors et dedans, un statut spécifique à l’inquiétante étrangeté au sein d’une part de la réalité investie sur le mode perceptif.

Philippe Givre: Le visage ravagé par les yeux

A quelle esthétique nous renvoie le corps anorexique? Si la quête du beau ou la grandiosité du sublime ne semblent guère correspondre à l’esthétique anorexique, des accointances plus sérieuses peuvent être mises en évidence avec l’esthétique de la laideur. La séduction du laid renverrait, selon Murielle Gagnebin (cf. La fascination de la laideur) à la fois à une nostalgie de l’enfance et à la maladie de la temporalité sur l’homme. Des affinités étroites se trament donc entre la mort, le temps et la laideur. Le laid ne peut être simplement considéré comme l’envers du beau puisqu’en donnant à voir ce qui est généralement dissimulé ou sublimé, il nous fait côtoyer les rivages d’une sexualité régressive et perverse. L’esthétique de la laideur répondrait de la sorte au besoin impérieux de se familiariser avec les figures spectrales qui peuplent l’univers du narcissisme de mort. En ce sens, « l’en-deçà psychanalytique du laid » n’est pas sans apporter un éclairage nouveau sur le contenu et la tonalité des fantasmes anorexiques. Sur un mode similaire à l’esthétique de la laideur, l’esthétique onirique des anorexiques révèle les ombres étouffantes et asphyxiantes du narcissisme de mort derrière lesquelles s’agitent et grouillent des fantasmes où l’oralité cannibalique et les angoisses de dévoration se mêlent aux fantasmes de pénétration et de viol. Aussi, ces ogresses d’imagos et d’objets d’amour à jamais perdus ne semblent avoir à leur disposition que leur corps et la fascination à l’Autre qui en émane pour mieux en dénoncer l’emprise qu’exercent sur elles des spectres vampiriques incorporés en des temps immémoriaux.

Claude Savinaud: Le sens de l’ irréparable

Le passage à l’acte délictueux de l’adolescent peut être reconnu comme un acte de passage venant ponctuer la nécessaire transformation de l’image du corps propre dont découle le remaniement des images parentales. Le masochisme érogène y joue un rôle prépondérant, qui tend à substituer à des représentations d’objet inaccessibles un objet « déjà là », le corps de l’adolescent porteur de l’introject maternel. Le retournement de la pulsion sur soi-même et en son contraire lui offre un moyen de contenir l’excitation, un « self-control » fragile maintenant la liaison des pulsions agressives et libidinales, et transformant cet auto-érotisme négatif en masochisme moral. L’irréparable de l’acte fonctionne comme point de départ d’une subjectivation, où le Sujet peut s’approprier ses propres cassures, plutôt que de les attribuer projectivement au contexte relationnel.

André Brousselle: de l’ économie à l’ esthétique

La musique appelle une « esthétique guidée par le point de vue économique »: elle est art des variations de tensions (dissonances/consonances) dont les figures développent la reviviscence du « rudiment d’affect ». En clinique, « l’écoute opéra » de la voix est écoute de l’économique et aussi du point de vue esthétique auquel ne peuvent échapper ni contre-transfert ni transfert, que ce soit dans le pathos romantique ou l’antipathos minimaliste; au risque de la perversion esthétique déniant affect et objet. L’économie musicale mène à une esthétique particulière: celle du romantisme, de l’énergétique -c’est-à-dire celle de l’adolescence? Le point de vue économique serait-il rejeton de l’adolescence de Freud romantique?